Un Militant exceptionnel
« Toujours dans l’action collective pour le progrès social , avec son humilité habituelle et la recherche constante du partage des connaissances«
C’est avec ces mots que le Syndicat CGT Poste des BdR lui a rendu hommage lors de son départ à la retraite.

Alain était très sensible à l’Histoire sociale, c’est pourquoi il nous avait fait part de sa volonté pour la création de notre association l’AMVIC, avec pour objectif de ne pas laisser sombrer dans l’oubli tout ce qu’a représenté cet immeuble pour la ville de Marseille qui devrait être reconnu comme faisant partie du patrimoine de la ville ainsi que de faire vivre toute l’immense vie sociale qui s’y est développée.
Sa carrière est très riche d’évènements et de luttes sociales avec pour caractéristiques essentielles de longues luttes concernant la Poste Colbert et pour lesquelles, bien sûr, Alain a largement contribué :1985, 1992, 1995, 2001…. Nous reviendrons ultérieurement sur celles-ci .
Voici l’essentiel de l’intervention:
« Nous vous proposons de suivre les principales étapes de sa carrière à la Poste ».
Tout a commencé le 9 juin 1969, Alain rentre au PTT à l’âge de 18 ans en tant qu’auxiliaire, recrutement qui découle de la lutte de 1968. Il fût affecté à Marseille RP Colbert, il ne le sait pas encore mais c’est le début d’une histoire d’amour j’oserai dire et qui ne s’est jamais terminée même s’ils se séparèrent quelques fois. Mais n’est-ce pas ça une belle histoire d’amour ? Savoir se quitter pour mieux se retrouver.
A cette époque la RP de Colbert abritait le 1er, 2ème, 4ème, 6ème, et 7ème arrondissement. Alain faisait parti d’une brigade de rouleurs, fonction qu’il occupa pendant près de 6 ans. A cette époque, la distribution se faisait sur une journée entière, avec 3 facteurs pour une tournée qui était réparti en 3 secteurs : A, B et C, les deux premiers assuraient la distribution lettres et recommandées, le dernier desservait les mandats sur les secteurs A et B. 15 jours après son affectation, ce fût la première grève d’Alain et ce en tant qu’auxiliaire.
Fin 1970 Alain s’éloigna des PTT afin de s’affranchir de son service militaire pour faire son retour fin 71 à Marseille RP où il sera affecté sur le 7èmearrondissement.
1971 est l’année pendant laquelle où enfin, il se syndique à la CGT et ce grâce aux camarades Louis Royère et Pascal Verbéna, à cette époque le tri de nuit comptait 95% de syndiqués CGT.
1971 fût l’année de la création du syndicat Poste13 avec comme premier secrétaire général Denis Estève.
1974 une année haute en lutte et riche en événements, tous les postiers de France bataillent pour et gagnent le maintien de l’unité des PTT, le grade d’AEXDA et progressivement la titularisation des auxiliaires.
Vous vous apercevrez que tout au long de son parcours Alain n’a jamais loupé une bataille mais surtout a su faire coïncider les luttes locales en lien avec des luttes nationales.
C’est ce qui passa avec la lutte de Marseille 07 en 1974 lors de laquelle nos camarades Gérard Baussaint et Alain Croce instaurèrent aves les camarades de la CGT, l’AG quotidienne de tous les grévistes, c’est la première fois que tous les grévistes étaient présents tout au long du conflit.
1974 était la première tentative de l’Etat pour séparer les Télécoms des Postiers. Pendant cette lutte nationale, on pouvait entendre : « ITT, Thomson n’auront pas les Télécoms », l’Etat voulait les privatiser. 1er essai loupé ! Mais ce n’est pas parce qu’on avait gagné que le conflit de Marseille 07 cessa puisqu’il durera 45 jours. Mais pourquoi ? Vous demandez vous. Et bien parce que les grévistes dont nos camarades refusèrent d’écouler les reliquats gratuitement !
1977 Alain devient fonctionnaire et fût muté à Paris RP. Mais sa réputation de militant le précéda. Alors pour le mettre à l’écart des 800 facteurs, il fût affecté au sous sol : au service du dépoussiérage. C’était mal connaître notre Alain Croce, et les 2 marseillais qui travaillaient avec lui dont son camarade Guy Noel. Avec qui lors de leur première grève, ils obtinrent une machine électrique pour dépoussiérer les sacs.
Le 6 et 7 février 1978 , une grève sans préavis au PTT se propagea dans le pays. Le centre de tri de Créteil fût le détonateur. C’était l’affaire Lamas embauché comme vacataire. Paris RP décide la grève avec à sa tête Maryse Dumas qui était inspecteur à la distribution. Déjà la CGT se battait contre la précarité. Paris RP avec Alain et la CGT, lancèrent le conflit : les autres bureaux suivirent.
Alain rejoignît ensuite le BD des postaux de Paris, et la Commission Fédérale de la jeunesse CGT créé par Georges Frischmann, secrétaire Fédéral. Il rejoignit aussi la Commission Fédérale de la Distribution et de l’Acheminement, Alain collabore au journal « le préposé ». Commission Distribution Acheminement Transport qu’il quittera en 2008.
Alain fût élu de 1978 à 1998 à la Commission Exécutive Fédérale, au côté de Maryse Dumas, secrétaire fédérale.
1978 rimera avec son retour dans les Bouches du Rhône ainsi qu’au bureau départemental. Et savez vous où il fût nommé ? A la RP Colbert, une love story je vous dis. Alain fût affecté au service du télégraphe et créa la section CGT des télégraphes, 25 syndiqués CGT sur 35 agents.
Denis Estève me disait : « Alain est un camarade a qui j’ai fait confiance de suite, son état d’esprit, son dynamisme, aucune hésitation à aller dans les services, son travail collectif, nous ont aidé à sortir du fonctionnement directif pour mettre en place le collectif. Quand Alain et Guy Anastasio sont revenus de Paris, nous les avons vite intégré au syndicat départemental.»
1980, Alain est élu secrétaire à l’orga, qualité de vie syndicale, et intègre donc le secrétariat du syndicat départemental de la Poste. Le secrétariat animait le collectif, il préparait et exposait les débats.
En 1981 Il devient enfin titulaire de tournée dans le 1er arrondissement à la RP Colbert. C’est cette année là que grâce à l’intervention des postiers par lesquels il est régulièrement sollicité pour intervenir en tant que militant départemental, que le syndicat arrache des détachements de permanent.
Alain quittait sa tournée soit pour aller aider et défendre les collègues face à la Direction, soit pour siéger aux différentes instances Poste, malgré tout ça, en général il retournait finir sa distribution !
Grace à cette lutte des postiers, la CGT gagnera le BRH de l’exercice du droit syndical.
1982 suite à l’élection du président de la République, François Mitterrand, et le bruit de la mise en place des 35h par le nouveau gouvernement. Nos camarades et collègues de Marseille 01 et 02 ont ainsi su se jouer de la rumeur afin d’obtenir l’accord de La Poste à la suite d’un vote massif des postiers pour bénéficier des 35h et 1 samedi de repos sur 3. Eh si ça, c’est pas du culot !!

1984 Alain est élu Secrétaire Général et ainsi, succéda aux 13 ans de militantisme de Denis Estève qui a permis au syndicat départemental de travailler de manière collective. Alain avait intégré le Secrétariat en 1980 et bien sûr tout logiquement il était normal qu’il prenne toute la responsabilité du Syndicat.
Durant le conflit des 1992, Alain se rendant à la commission exécutive fédérale réussit un gros coup dont il n’est pas peu fier. A cette époque, les prises de paroles étaient sanctionnées à Paris RP. Mais avec quelques camarades, Alain revient marquer les lieux de son passage.

Les camarades et lui rassemblent l’ensemble du personnel et font une prise de parole pour évoquer le conflit de Marseille dont les postiers sont en grève depuis 3 mois. A la suite de celle-ci une collecte fut réalisée. La Fédération n’y croyait pas !
Si je devais vous énumérer toutes les luttes qu’Alain a accompagnées, je pense que demain soir nous y serions encore, Arles, Vitrolles, Salon, Aix et tant d’autres ont usé du savoir faire d’Alain. Durant ces années un acquis important pour le syndicalisme que je souhaite mettre en valeur : la mise en place de l’Heure d’Information Syndicale à 02, à 100% sur le temps de tri général, 50% du personnel un jour, 50% le lendemain.
Si on doit retirer des enseignements des luttes qu’Alain a pu mener durant toute sa carrière mais qui sont aussi les valeurs de la CGT, ce serait : rassembler, proposer, lutter, négocier et recommencer mais aussi et cela Alain me l’a répété plusieurs fois pendant notre entretien : « inscrire les luttes locales dans les luttes nationales, on y gagne toujours quelque chose quand le rapport de force est en place, tout cela a permis aux postiers d’obtenir de grand acquis sociaux : les 35h alors que tout le monde était à 39h, puis les 32h … ».
On retiendra aussi qu’un acquis ça ce défend, et c’est peut être ça, le plus compliqué.
Nos anciens sont une richesse, certes le contexte était différent mais le culot, l’optimisme, aucune frontière aux revendications, l’abnégation sont des valeurs dont nous devons nous imprégner et partager.
L’humilité d’Alain me fait dire et il a raison que ce n’est pas un militant qui fait la différence et qui fait gagner. C’est la structure CGT et son renforcement qui permettent de construire de belles luttes et surtout partageons la convergence des luttes. Nous avons tous à y gagner !
Témoignages
Francis son frère:
Alain est né à Marseille le 30 avril 1951, d’un père patron pécheur, et d’une mère femme au foyer, ainé d’une fratrie de trois enfants.
A deux ans et demi il apprend à lire chez les bonnes-soeurs et à 3 ans, il intègre l’école maternelle. Il poursuit sa scolarité en primaire, ou ses instituteurs décèlent chez lui un brillant avenir, au vue de ses résultats scolaires toujours excellents.
Alain lisait beaucoup, et en particulier dans sa jeunesse de nombreuses bandes dessinées ( Blek le roc, Mandrake , Zembla) il écoutait tout type de musique, pratiquait le vélo, et le foot .
Sportif et fervent supporter de l’O.M il était logique, qu’après avoir joué dans les clubs : US Endoume, Ail Endoume, CS PTT, il devienne arbitre FSGT.
Déjà très rassembleur, il réunissait les minots du quartier pour jouer dans la rue, à la gare du carénage, et à son initiative nous allions souvent voir jouer Panisse (dit PANCHO) aux boules.
Charles Ribard :
« Injuste. C’est le mot qui me vient à l’esprit et certainement à beaucoup d’entre nous aujourd’hui. Ta mort nous fait mal , nous laisse orphelin . C’est une immense tristesse . Mais nous sommes là, nombreux , ensemble , pour une expression de gratitude sans borne. D’abord pour cette abnégation indéfectible, faite de force et de courage pour toujours aller de l’avant . Cette pédagogie qui te collait à la peau et qui a fait de nous, de beaucoup d’entre nous, des militants, des syndicalistes .Cette intelligence, cette ouverture d’esprit, dont on s’est nourri pour faire grandir nos consciences . Cette culture de l’histoire qui nous faisait réfléchir. Tes certitudes, tes convictions, qui nous a fait alle , dans les luttes, au delà du possible. Ta voix, ton charisme, ton humour, ta démarche .Tout nous manque déjà.Je te salue, ALAIN, homme de raison et de gentillesse, de courage, de passion. Tu resteras toujours là , dans nos mémoires, parce qu’on oublie jamais un homme qui reste debout »
Amédée Pagano :
« Je suis triste. Je perds une boussole qui indiquait le cinquième point cardinal , et le plus important: celui de la vraie vie , du vivre ensemble pour un monde meilleur. Je garderai son sourire et ses éclats de rire. J’ai toujours apprécié son sérieux et sa méthode d’approche des gens. Une leçon. Il n’hésitait pas à nous accompagner dans les réunions très tardives de la Brigade Départementale.
L’écriture en commun du livre Sac à Terre m’a fait estimer Alain beaucoup plus encore. Je suis très affligé. »
Alain Job:
« Je suis d’autant plus abasourdi par cette terrible nouvelle que je croyais Alain sur la voie la rémission. Je n’ai milité avec Alain que de 1974 à 1981. J’ai le souvenir de ce jeune auxiliaire de la distribution de Marseille RP, très vite intégré au Bureau du Syndicat départemental et à la Commission Nationale de la Distribution, tant ses qualités humaines, ses capacités d’analyse et son dynamisme étaient grands et prometteurs. La vie est parfois aussi injuste que cette société capitaliste qu’il a combattue sans cesse et sur tous les fronts, toujours sur la base des valeurs fondamentales de notre syndicalisme. Sa vie a été trop courte mais oh combien bien remplie. Adieu Camarade, Adieu l’Ami. Mes amitiés à toutes et tous »
Très attaché aux anciens il se rendait souvent chez ses grands parents à St Mitre où il se promenait souvent dans les collines de château Gombert ce qui lui a donné le gout de la marche, et par la suite de la montagne. Il passe son certificat d’études au lycée Pierre Puget. Mais malheureusement un accident au talon d’Achille, l’immobilise plusieurs mois et lui fait arrêter ses études et le sport. Remis de son accident, il rentre en 1966 au Collège Technique ; François Moisson afin d’y poursuivre une formation d’imprimeur typographe. Par la suite, il travaille de 1966 à 1969 auprès de plusieurs employeurs, à diverses fonctions ; électricien, poissonnier, monteur radio, coiffeur et part souvent à la pêche à l’eissaugue avec son parrain. En 1969 il devance l’appel sous les drapeaux, et fait ses classes à HOURTIN dans la Marine Nationale.
Dès le premier jour à Hourtin il organise une grève des gamelles parce que la nourriture n’était pas bonne et en petite quantité. Puis il intègre l’école des fusiliers marins de Lorient, et en sort avec une affectation sur Toulon à la protection de l’arsenal.
Quand il est libéré de ses obligations militaires, à l’aube de ses 19 ans en tant que second maitre réserviste, il devient auxiliaire aux P.T.T. Colbert. A ce moment, il s’est vraiment senti à sa place, car à l’époque il y avait beaucoup « d’anciens » qui avaient fait la guerre et qui avaient été dans la résistance ; ils lui ont beaucoup apporté au niveau conscience politique et syndicale (Ne pas avoir peur de se battre et ne rien lâcher). Il prends sa retraite en 2012 , après une longue carrière de facteur et militant syndical.
Malgré un engagement politique et syndical très fort tout au long de sa vie, il prenait aussi le temps de voyager, de faire des excursions, du sport, de partager des moments conviviaux autour d’une table, de lire, d’aller au théâtre…vie multiple bien remplie.
Alain n’est pas parti à la retraite pour se reposer mais pour continuer le combat pour ses concitoyens, dans sa commune. En 2008 il fut élu communautaire et conseiller municipal puis en 2014 maire adjoint.
Le seul combat qu’il a perdu est celui contre la maladie le 19 Mai 2018 à 18h10.

Sa disparition a provoqué une grande émotion et bien au-delà de la RP. Lors de sa retraite Alain poursuivant son investissement dans l’approche sociale et humaine, avait eu d’importantes responsabilités dans la Mairie de Gignac la Nerthe. Un bel hommage lui a été rendu par le Maire devant une très forte participation de la population et aussi la présence de nombreux Postiers. Ci contre voici le compte rendu paru dans le journal des retraités de la Poste .
Aujourd’hui par l’évocation de tous ceux que nous avons connus, par le rappel de ces grands moments d’actions sociales, nous avons le sentiment de valoriser cette grande richesse humaine témoignant de l’action pour la construction d’un monde plus fraternel, dégagé des lourds problèmes environnementaux.
Le collectif de l’AMVIC

Alain Croce, un militant infatigable