La Grande grève de 92 à Marseille RP

par Charles Ribard (membre de l’AMVIC)

Avant d’aborder le sujet du titre, petit retour sur l’année 1992 dans les PTT . Une année « charnière » dans tous les services de cette Administration , qui va voir la mise en place de la réforme de cette entité, décidée en 1990. C’est la mise à jour de la privatisation et l’application de toutes ses composantes : nouvelles règles de gestion du personnel, tentative de privatisation des restaurants administratifs, accélération de la suppression des ambulants, l’entrée de 10 000 contrats CES (contrat emploi solidarité) , à la Poste comme à France Télécom , déjà deux entités distinctes. Et le 20 septembre 92, c’est le référendum sur le traité de Maastricht. 

Cette réforme est un virage à 180 ° sur le déroulement des carrières, des mutations, de l’avancement . On parle désormais de fonction à la place du grade, d’avancement au mérite, de la perte du service actif ( c’est à dire la retraite à 55 ans à la distribution et dans les services arrières) et d’une grosse incertitude concernant les mutations. 

Un logiciel mis en place fin 91 prénommé « MAIA » va bloquer toutes les mutations de cette année là . 

Il n’y a pas un service qui n’ait pas réagi à cette attaque en règle contre le statut de la fonction publique. Durand toute l’année, dans tous les services et sur l’ensemble du Département , les postiers et les agents de France Télécom se sont battus pour conserver leurs droits, pendant que la CFDT négociait la mise en place de ces nouveaux outils de gestion avec la Direction . 

Si je cite plus haut le traité de Maastricht, il y a une raison: la privatisation du service public des PTT en émane, avec l’aval d’un gouvernement de Gauche . Des négociations sur une directive postale européenne sont en cours , notamment pour définir les missions de service public d’un service postal. L’obligation, par exemple, de la distribution du courrier 6 jours sur 7 par semaine, ce que la Poste française n’a jamais respecté . 

Il reste encore un ministère des PTT en 1992, avant d’être transformé en ministère de la communication et de l’industrie, pour disparaître très vite de la sphère gouvernementale. 

Le but de cette réforme était annoncé : La suppression de 100 000 emplois à la poste avec la restructuration de tous les services. 

Dans les Bouches du Rhône , une volonté politique était affichée pour essayer de faire passer en douceur le bébé : délocaliser. Chaque arrondissement doit avoir son propre centre de distribution du courrier. Marseille 02 étant dans les locaux de Marseille RP (qui se situe sur le 1er arrondissement) , L’ensemble du service distribution sera dirigé dans des locaux loués près de Joliette , en novembre 1991, tout en étant géré administrativement par la RP.

Je me souviens que le personnel du 2eme arrondissement avait demandé des garanties écrites au Receveur concernant les acquis sociaux et des compensations financières pour le déménagement. Une prime avait été obtenue. Quant à la garantie écrite du chef d’établissement sur les acquis, elle était vide de sens, mais très bien tournée. J’ai pris la parole pour dénoncer ce pamphlet qui n’augurait rien de bon . 

Croyant sans doute que cette séparation allait apaiser les véhémences revendicatives des personnels, arrive un vaste plan de restructuration des services avec une remise en cause de tous les acquis sociaux . 

Et le 20 janvier 1992, c’est le début de la plus longue grève des PTT en France . Elle durera 120 jours . Même délocalisés, les deux arrondissements ainsi que les guichetiers de Colbert se retrouvent dans une mouvement dur et long , pénible , intense, car chacun comprend les enjeux de ce bras de fer . Une grève sans 

préavis, qui va permettre à la Poste de faire ce qu’elle n’a jamais encore fait : Affamer les grévistes en ne leur laissant que le minimum légal sur les salaires, qui correspond à l’époque au montant du RMI. Une journaliste du Méridional, Stéphanie Lafond, proche de l’extrême droite, s’en félicitait à travers un article . Il aura l’effet contraire recherché, car la population soutiendra les postiers jusqu’à la fin .

Sur tout le territoire , ce mouvement aura une attention et un impact sans précédent . L’enjeu est immense car il est le premier à contrer sur le fond les ravages de la privatisation . La fédération CGT des PTT en fait à juste titre un symbole. Elle va mettre tout en oeuvre pour que les grévistes tiennent et gagnent . Une solidarité financière est lancé nationalement , qui permettra à chaque agent en grève de recevoir tous les mois une aide pour tenir . Aide, qui sera distribué de manière comptable, dans la salle de réunion de la Direction Départementale de la Poste des Bouches du Rhône, à l’endroit même où se déroule les négociations . 

Mais la solidarité ne s’est pas arrêté là . Une forte mobilisation départementale de l’interprofessionnel et de la population est venue renforcer ce soutien nécessaire . Les dockers apportant au delà de l’aide financière , des produits alimentaires en quantité. Le soutien des 120 du chantier naval de la Ciotat , celui des CIQ, des Unions locales CGT, des agents des chèques postaux, des agents de France Télécom, des centres de tri, des restaurants administratifs qui, de temps en temps, faisaient manger gratuitement les grévistes. Le soutien des habitants du quartier, qui portaient soit de l’argent soit de l’alimentation. C’était du jamais vu . On sentait bien que les enjeux de cette grève allait bien au delà de la Poste Colbert. A tel point que le syndicat départemental de la haute Garonne, et plus particulièrement Toulouse RP nous a demandé de venir expliquer le conflit. Nous avons répondu favorablement à cette demande et une délégation est allée à leur rencontre . J’en faisais partie , avec Marc Caponi et Marius Magri . 

Si ce conflit a été si long, c’est que la Poste , compte tenu des enjeux stratégiques , a laissé pourrir la situation, sans chercher à négocier sur quoi que se soit pendant plusieurs semaines . C’est ce qui nous a motivé, avec l’aide de la fédération CGT, à monter sur Paris pour rencontrer le ministre des PTT de l’époque , Emile Zuccarelli . Une nouvelle fois grâce à la solidarité départementale , un bus affrété pour l’occasion a permis à un grand nombre de camarades d’invectiver leur colère sous les fenêtres de ministère , pendant qu’une délégation été reçu par le chef de cabinet .

Maryse Dumas , Alain Croce et Charles Ribard (tournant la tête)

Alain Croce, avec la Secrétaire Générale Maryse Dumas en tête, nous défilions jusqu’au Ministère des PTT rue de Ségur. C’est cette initiative retentissante des marseillais chantant comme les Fédérés de 1792, la Marseillaise dans Paris qui aura sans doute fait pencher la balance des négociations en notre faveur puisqu’une large délégation des grévistes fut reçue par le Directeur du cabinet qui nous renvoya de «manière positive» reprendre les négociations à Marseille. 

Curieusement, de retour à Marseille, les négociations ont repris quelques jours plus tard, après avoir dénoncé un soi disant accord avec le syndicat « Autonome », qui ne représentait pas 1% du personnel. 

Nous étions si déterminés et si engagés dans ce mouvement, qu’il n’était pas question de reculer d’un pouce dans les négociations. Ce sera tout ou rien. 

Acculée, sommée par le ministère de faire avancer les négociations et de mettre fin au conflit, la direction départementale cède sur tous les points. 

Pour la petite anecdote, je me souviens d’une revendication qui a vu le jour pendant la grève. Celle de l’obtention d’un bermuda dans la panoplie du facteur . Elle fut intégrée dans le cahier revendication et elle a été négociée.

La Direction a bien entendu botté en touche en disant que cela n’était pas de son ressort . Mais alors que l’on négociait les conditions de reprises, notre interlocuteur, le directeur départemental adjoint, reçoit un « Flash » de Paris lui demandant de recenser les besoins en matière de Bermuda pour son département . Le visage hagard, il lève la tête, nous regarde et lance cette phrase, au demeurant très exacte : « vous nous aurez tout pris ! « .

Je vous fais grâce, ici , de la liste des acquis de cette grève, il y en a quinze pages . 

Mais je ne peux pas passer sous silence les excellentes conditions de reprises obtenues. 29 jours de grèves retenues sur 120 et des moyens supplémentaires en personnel pour résorber un énorme trafic de courrier en retard que les chantiers supplétifs n’ont pas réussi à traiter . Facteur, c’est un métier !!!

Le personnel supplémentaire était tout trouvé. On a fait embaucher ces jeunes auxiliaires de ces chantiers clandestins mis en place pour casser la grève . Ils sont restés coi , croyant peut être qu’on allait leur en vouloir d’avoir trouvé un emploi ! 

En témoigne la déclaration de Jean Pierre Ferragioli

« Etant chômeur en fin de droits en Mars 1993 (1992) ,je suis rentré à la Poste de Marseille RP en tant que préposé sans aucune formation minimum. Les préposés étaient en grève depuis des mois, la Direction recrutait des chômeurs afin de casser le mouvement  Très vite on nous propose de doubler les tournées afin de gagner plus à la fin….fin de quoi ? On n’en savait rien.La grève pris fin vers Avril il me semble, j’étais anxieux de me retrouver face aux grévistes j’étais préparé à ce que ça tourne mal. Qu’elle ne fut pas ma surprise ! ils rentraient triomphants un beau matin, sourires, aucune tension entre eux et nous, leur délégué syndical Alain Croce annonça en public aux cadres que puisqu’ils avaient profité de notre misère pour casser leur grève, dorénavant ils devaient nous embaucher Je commençais ce jour à comprendre ce qu’était la véritable solidarité ouvrière. Je fus reçu par un membre de la Direction qui m’annonça que si je voulais me faire payer les heures sup il fallait démissionner Le syndicat organisa une réunion avec la Direction, la déléguée les menaça de déclencher un mouvement s’ils ne nous payaient pas car ils n’avaient aucune idée de ce qu’est la misère et la précarité.72h après je fus payé, un nouveau contrat de CDD en poche 

Je me souviens des mots du Receveur dépité disant «  Ici c’est une véritable secte ..on parle à un facteur 50 facteurs répondent »A la Poste Colbert j’ai appris ce qu’était la solidarité ouvrière, l’entraide et la camaraderie. »

Car c’était bien ce qui primait dans notre démarche: l’emploi. Certains de ces jeunes sont encore à la Poste, ils y font carrière. C’est d’ailleurs un acquis supplémentaire de cette grève de 92.  

On a fêté cette victoire comme il se devait. 

La plus belle de ces fête , forte en émotion, celle qui reste dans un coin de la mémoire comme un souvenir de coeur , c’est celle qui fut organisée sur les chantiers navals de la Ciotat. Près de 2000 personnes étaient là, militants, syndiqués, citoyens, camarades, venus en un élan saluer le courage et les volontés des 120 du chantier et des postiers, qui , le même jour célébraient leurs victoires . Nous leur avons remis un chèque du reste de notre solidarité financière , qui, si je me souviens bien, était assez important . Parce que pour eux, le combat n’était toujours pas terminé . 

Le deuxième semestre de cette année là fut chargé pour les militants de la CGT. Nous étions invités partout pour expliquer et faire connaître tous les points revendicatifs de cette victoire. Notre ami Alain Croce à fait le tour de France ( mais pas en vélo). Moi, j’ai honoré les invitations des départements voisins, comme le Vaucluse, l’Hérault, le Gard et quelques autres.

Nous avions beaucoup de choses à dire, à raconter, mais pas de leçon à donner . 
Si….peut être! La notion du tous ensemble pour gagner .