MAI 68

Marseille Colbert Inter Urbain

Préambule (AMVIC)

À cette époque, le central téléphonique inter urbain occupait une partie du 2eme étage de l‘Immeuble Colbert.

LA GRÈVE DE MAI-JUIN 1968 AU CENTRAL TÉLÉPHONIQUE INTER URBAIN DE MARSEILLE COLBERT

par Claude Navarro (adhérente AMVIC)

Colbert-Interurbain en 1968

Photo ci-contre: L’occupation de l’inter  en 1968 Claude Navarro est en face debout

 

Hiver 1967-1968, je suis la secrétaire de la section syndicale CGT de Marseille Interurbain, le principal central téléphonique de la région. Le téléphone n’est automatique que dans la ville de Marseille pour toute autre communication, il faut passer par l’Inter, qui joue donc un rôle important.

Le personnel, 400 personnes environ, est féminin à 90%. C’est un personnel combatif avec une forte section syndicale CGT, qui ne laisse rien passer… Il y a aussi une section du PCF de vingt personnes.

Nos principales revendications concernent le temps de travail. Nous réclamons 36heures hebdomadaires, comme à l’inter de Paris et la double compensation des dimanches et jours fériés – sans succès. Pour le personnel féminin, c’est très important, car le travail est pénible, le célèbre « 22 à Asnières » de Fernand Reynaud n’est pas loin de la réalité. Notre profession est bien placée pour le palmarès des dépressions nerveuses (on ne disait pas encore « Burn out » !). Avec, pour bien encadrer tout cela, une surveillante pour dix personnes, un rendement calculé journellement, une notation supplémentaire par rapport aux autres fonctionnaires (le carnet d’opératrice).

À partir de janvier 1968 et ceci pendant trois mois, nous faisons grève tous les dimanches et les jours fériés pour obtenir la double compensation – sans succès.

Au mois de mai, après la révolte violemment réprimée des étudiants, les organisations nationales appellent à la grève illimitée. Le vendredi 17 mai au soir, les cheminots de Marseille se mettent en grève. Le samedi matin, nous réunissons le personnel présent pour commencer une grève avec occupation des locaux.

Une manœuvre de la direction aidée par l’une des responsables de FO fait échouer notre tentative. C’est là qu’un cadre manifestement satisfait me dit : » N’en parlons plus ». Ce à quoi je réponds : » Ah, certainement pas ! ». Le lundi matin, dès la première heure de service à 7 heures, nous arrêtons le personnel devant la porte, rue Colbert ; la CGT et la CFDT appellent à la grève avec occupation. Ceux qui sont pour la grève : sur le trottoir de la porte d’entrée, ceux qui sont contre, sur l’autre trottoir. La grande majorité se prononce pour la grève.

Nous montons dans les services et demandons au peu de personnel ayant déjà pris son service de participer à la grève ou de quitter les locaux. Un certain nombre de collègues reste- dont l’autre responsable de FO, qui participera à la grève et à l’occupation avec nous. L’occupation commence. Il faut répondre aux appels, faire le tri : transmettre les urgences et refuser les autres. C’était un travail important et difficile, mais les grévistes s’y sont investis avec conviction. Il fallait du personnel tout le jour de 7 heures à 21 heures, la nuit étant assurée par les grévistes hommes.

Bientôt, la pénurie d’essence étant totale, le problème des transports se pose. Avec notre syndicat départemental et les camarades du garage de la poste, nous organisons un circuit de ramassage pour les grévistes.

L’occupation des locaux était pour nous un souci constant, nous avions peur que des éléments, notamment du SAC, intentent à la sécurité des installations. Mais tout s’est bien passé, pas de pagaille comme tentait de le dire la télévision. Durant le mois de mai, réunions et manifestations se succèdent.                

                          

Avec les « accords de Grenelle », beaucoup de revendications sont satisfaites : fortes augmentations de salaires, reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, libertés syndicales… Mais, pour nous, un gros point noir : nous n’avons pas les 36 heures.

La police vient nous faire évacuer les locaux. Nous nous réunissons à la Bourse du travail FO. Le personnel vote à l’unanimité la poursuite de la grève. Au bout d’une semaine de négociations avec la Direction régionale, nous obtenons satisfaction : les 36 heures à partir du 1er juillet, la double compensation des dimanches et jours fériés. Nous reprenons le travail. Malgré tout ce qui se dire sur le rôle des syndicats et celui du parti communiste, Mai 68 a été une victoire pour les travailleurs. Pour nous, cela a permis à un grand nombre de téléphonistes de terminer leur carrière avec de bien meilleures conditions de travail.

Cette victoire a aussi été celle de l’union, car les trois organisations syndicales (CGT, CFDT, FO), sont restées unies jusqu’au bout, malgré un début chaotique.

sources: Claude Navarro, « Marseille-Paris les belles de Mai » (Gérard Leydet et Bernard Régaudiat (coord.) (Promemo / Syllepse)