René Coromines

par Denis Estève (membre fondateur de l’AMVIC)

René Coromines : sa bonne humeur, sa gentillesse, un militant modeste mais dont l’action sans faille au service de la CGT et des salariés, doit être un exemple pour toutes et tous.

1942 : Comme beaucoup de ses collègues René entre tôt à La Poste dès ses 17 ans, en 1942 comme jeune télégraphiste et aussitôt il adhère à la CGT. Son premier  télégramme à distribuer était destiné à Fernandel, mais déception  car il n’a pas eu l’occasion de le voir.

1947 : Josette Coromines, (devenue son épouse en 1954) travaillant aux Chèques Postaux de Marseille , nous précise «  En 1947 les grèves étaient très dures et minoritaires dans les PTT »

. Elle nous a relaté l’épisode vécu au bar St Cannat lorsqu’avec ses collègues elles ont dû se cacher car la police venait pour arrêter et emmener les facteurs grévistes de la RP. Josette nous précise : « Quand les portes du fourgon se sont refermées, nous sommes sorties de notre cachette et la salle du bar nous a paru bien vide et bien calme. Une quinzaine de nos camarades venaient d’être emmenés à la prison Baumettes  où ils devaient être détenus pendant quelques jours. Mais Solari, le responsable CGT de Marseille RP a été viré des PTT. »  Josette raconte qu’elles l’ont trouvé, employé dans un cinéma pour contrôler les billets d’entrée (Il était marié et avait des enfants à charge) Il n’a jamais été réintégré, c’est Malbosc qui lui a succédé à Marseille RP ». 

1963 : René s’engage très vite dans les responsabilités syndicales. Le 14 mai 1963 avec son camarade Bosny lors d’une audience à la Direction Départementale , ils évoquent les nombreux problèmes de la distribution : .heure de fin de tri, les effectifs, limitation nombre opérations financières, les conditions de travail. N’ayant pas constaté  de propositions conséquentes, ils mettent en avant  cette réalité « les préposés en ont assez ; ..ils sont le seul service mixte à commencer à 06H avec 45H par semaine sans interruption ( à part le casse croûte). On leur a accordé le samedi après midi sauf pour  la  brigade de finance. »

Et René exprime son sentiment :« Le préposé n’est pas un esclave que l’on exploite indéfiniment mais un homme qui veut travailler honnêtement et vivre humainement. Il faut se syndiquer, l’avenir de tous dépendra d’une  honnête prise de conscience de chacun. » 

René parle de la nécessité de décentraliser l’organisation  syndicale sur chaque arrondissement. Il souligne  l’importance  de la création du CSPTT qui a permis  de créer un bon climat de solidarité et d’équipe favorisant l’action revendicative. Il met  en lumière l’insuffisance des effectifs  face à l’augmentation du trafic, et s’élève contre la prise en considération des congés de maladie pour la notation..

  Le 12 mai 1964 René s’adresse à la « Fédé » pour leur demander assistance  afin de régler un problème   concernant les préposés-chefs, nommés par concours. Ceux-ci s’estimant lésés dans leur avancement par rapport aux préposés passant par avancement et terminant au grade de préposés-chefs avec le chevron supérieur. Il  indique : «Ils ne veulent plus nous écouter et ils vont même plus loin, jetant le discrédit sur l’organisation, prétextant que celle-ci ne fait rien pour eux, mais encore ils jouent les briseurs de grève en participant de moins en mois aux mouvements »

 

1968 : A Marseille le mouvement s’est amorcé le 10 mai avec la décision des facultés de St Charles et de St Jérôme de se mettre en grève. Le 17 mai l’action se développe avec la SNCF et les PTT avec Marseille RP qui a donné l’exemple. Marc Tharreau nous en parle précisant que suite à l’intervention de Pierre Amendola (secrétaire de l’UD), la décision d’occuper le bureau est décidée. René intervient s’adressant à  quelques autres camarades « vous montez sur un casier de tri, dans chaque travée et vous dites : les grévistes dedans, les non grévistes dehors. » « « Les gars, on occupe les locaux, les patrons c’est nous». A la quasi-unanimité, le personnel adoptait la grève illimitée avec occupation des locaux. Chaque agent, chaque préposé prenait ses propres responsabilités. L’unité se créait, une unité qui est restée inébranlables tout au long de la grève, y compris lorsque les forces de police ont procédé à l’expulsion. Le personnel est resté conscient que l’essentiel était d’obtenir satisfaction sur les revendications, et que la lutte allait se poursuivre malgré tout. Et c’est au chant de la Marseillaise que le personnel est sorti en masse.

1971 : Lors de la mise en place des 4 syndicats CGT dans les BdR (la Poste, les Télécoms, les Centres de tri et Les Financiers) René Coromines avec Maurice Mauduy ont apporté au sein du Bureau Départemental Poste grâce à leur expérience une grande sérénité. Ils ont su très vite s’adapter aux nouvelles responsabilités qu’ensemble nous devions assumer. Une anecdote à souligner : lors de notre 1ere réunion au BD, nous souhaitions sortir une pétition. C’est alors que René quitte la salle pour aller demander l’accord de Guy Oulié le Secrétaire de l’Union des Syndicats, surprenant !! Nous nous sommes regardés en souriant et, très vite nous avons enchaîné sur les autres points à débattre. Ce fut la première et dernière fois que l’aval de la «hiérarchie syndicale» fut recherché. Mais très vite René a compris notre nouvelle responsabilité collective. Il est des détails qui éclairent sur le fond des choses, sur leur signification profonde.

1974 : Lors de ces semaines de grève en novembre aux PTT, c’est au jour le jour que personnel prenait la décision d’action. En tant que responsables départementaux  nous allions à la rencontre des services.

Comme à l’habitude je faisais équipe avec René…ce jour nous nous rendions à Aix en Provence et nous rentrions dans le local des facteurs pour échanger avec les quelques indécis. C’est alors que   le Receveur vient nous dire « vous ne pouvez pas rester là »…et aussitôt  René  lui réplique : «  nous avons l’autorisation du Préfet » Et ainsi nous avons continué notre initiative même si celle-ci n’a pas eu les effets que nous espérions envers ces quelques réfractaires 

René était gourmand de répliques savoureuses  et de réflexion provocatrice telle que :

« Le socialisme c’est comme la ligne d’horizon plus on s’approche plus elle s’éloigne..

1982  En Décembre René va prendre sa retraite.

Dans son Intervention  Marc Caponi déclare entre autre :

« Mon cher René nous ne pouvons te cacher combien tu nous manqueras. Et si importante par son nombre, sa diversité puisse être cette assemblée, elle ne peut à elle seule témoigner de ce que tu as pu représenter durant ton activité. » 
Après avoir rappelé le parcours professionnel de René , il précise :
« A cela il convient d’ajouter la bonne humeur, ta gentillesse et ton sérieux dans le travail reconnu et apprécié de tous. Mon cher René, aujourd’hui avec ton départ c’est une page importante de notre syndicat qui achève d’être écrite. Que de souvenirs en commun ! et s’il est vrai qu’ils resteront dans nos mémoires, nous ne pourrons plus les évoquer de la même manière. Il en sera ainsi pour beaucoup  d’entre nous. C’est le cycle de la vie. »

2015 René avec son épouse Josette se trouvent en maison de retraite, René est âgé de 88 ans et depuis 13 ans, suite à une attaque, il est paralysé du côté gauche :. 13 ans de vie, dans un fauteuil ; impossible d’assumer seul les besoins naturels de la vie. René avec son corps qui l’abandonne, a gardé toute sa lucidité. Récemment dans la maison de retraite, à l’occasion du 1er Mai, une animatrice avait écrit un papier sur cette fête du travail et elle a demandé à René s’il acceptait d’en faire la lecture. René n’a pas hésité à prendre le micro. Puis, la lecture terminée, il s’est lancé dans des réflexions sur ce que représentait le 1er Mai. Il en a profité pour pointer l’insuffisance du salaire des aides-soignantes. Enfin, avant de rendre le micro, il a entamé l’Internationale, bientôt rejoint par un autre pensionnaire.

Pouvez- vous imaginer l’impact de cette séquence, la force émotive qu’elle représente?

Le 21 janvier 2018 René nous a quittés. Avec Claude Pélissier nous lui avions rendu visite et nous l’avions trouvé bien diminué.. Alors que dans nos visites précédentes il nous parlait de l’actualité et soucieux, il demandait régulièrement des nouvelles d’Alain Croce. Jusqu’à ses derniers jours de vie, René a gardé  son caractère altruiste et toute sa lucidité. Mais ce jour-là, lorsque nous nous sommes séparés, son regard doux et triste nous a transmis ses pensées . Il avait pleinement conscience qu’il était au bout de sa vie.

Lors du dépôt de la plaque commémorative le 2 octobre 2018, en présence de sa fille Michèle, retenons ceci de l’intervention de J P Castaing secrétaire du Syndicat des retraités : « On a coutume de dire que pour savoir où l’on va il faut connaitre d’où l’on vient. Nous nous devons de commémorer nos anciens comme il se doit, car beaucoup trop de postiers d’aujourd’hui ignorent ce qu’ils doivent à des militants comme René. Il faisait partie de ces militants modestes mais dont l’action sans faille au service de la CGT et des salariés, doit être un exemple pour toutes et tous. »

D.E.