par Georges Crescente (membre de l’ AMVIC)
Quand la Poste était un grand Service Public.
Dans la période de l’après guerre, la France connait un grand boom économique (+5% de croissance par an) ; la Poste fait partie d’un grand service public connu sous le sigle PTT. La rapidité du courrier est une cause nationale, les trains Postaux circulent jour et nuit, le fameux J+1 est l’alpha et l’oméga de la distribution .
A Marseille RP (recette principale), le courrier afflue et l’engorgement menace. C’est dans ce contexte, que la Direction de la Poste propose de faire un essai de tri de nuit afin de permettre à la Distribution d’écouler le trafic rapidement, étant donné que Marseille RP abrite les 1er, 2eme,3,4,5 et 6eme arrondissements de Marseille là où se trouvent en grande partie les grandes entreprises :
- Banques,
- transitaires,
- port de commerce,
- avocats etc.
En février 1962, Mr Mariotti, qui préside aux destinées de la gestion des Facteurs, me demande si j’accepterais avec 3 camarades de faire un essai de tri de nuit pour 15 jours. Le service en fait va durer 30ans.
Rapidement, l’essai va être évidemment concluant, l’effectif va croître au point d’atteindre 35 agents dans les années 70, 80.Les conditions de travail ne sont pas très bonnes, dans la grande salle l’été il y fait très chaud et l’hiver très froid.
La durée du travail est fixée à une vacation de 23H à6H du matin, 6 nuits sur 7.La durée de la semaine de travail est de 38H. La cadence de tri est fixée à 2000 lettres à l’heure par agent, et il n’y aucune possibilité de se restaurer, ni de se désaltérer.
Très vite les conflits et les revendications vont être constants.
Syndiqué à la CGT, j’interviens souvent pour des problèmes concernant les cadences qui sont importantes à 2H du matin, il faut être aussi performant que si c’était à 2H de l’après-midi.
Les cycles nycthéméraux (une période de veille et une période de sommeil) sont gravement perturbés.
Pour agir efficacement, il nous manque la possibilité de s’organiser en section syndicale, celle-ci est interdite et le texte de nos tracts est d’abord visionné par le Receveur.
Toutes nos interventions sont individuelles et l’Administration demandera en 1967 de ma déplacer en servie de jour.
En 1968, la grande grève éclate. Dans les négociations de reprise, je me suis réintégré au tri de nuit, des avancées sont obtenues ;
- 35H par semaine.
- Les cadences de tri sont revues à la baisse.
- Création de la section syndicale.
La revendication des 2 nuits sur 4 est posée. L’importance de cette revendication va faire l’objet d’une négociation prévue pour le 31 janvier 1969.
Or je venais de me marier le 29… le voyage de noce attendra !
Dans la foulée, les 2 nuits sur 4 sont acquises.
L’effectif est partagé en deux brigades de 15 agents.
Cette période s’achève, mais la bataille de la prochaine sera tout aussi intense.
L’Administration ne va pas tarder à essayer de revenir sur les acquis : la remise en cause des 2 nuits sur 4, les cadences de tri, sont de plus en plus insupportables.
Face à cette situation, nous décidons de proposer à l’Administration un fini parti de 1000 lettres à l’heure avec comptage. Après une argumentation solide, la revendication est acceptée.
Entre temps, les 3eme et 4eme arrondissements ont rejoint leurs bureaux respectifs, ce qui fragilise le poids de notre section syndicale. Pour autant la lutte continue de plus belle, la signature du Programme Commun de la Gauche, galvanise les luttes, et en nuit le débat fait rage.
Dans ce contexte, à l’annonce du décès du Président Pompidou à la radio de minuit, je me précipite chez René Coromines (secrétaire syndical des facteurs) à son domicile dans le quartier de Malpassé. Il est 1H du matin, la situation politique devient instable.
Après l’élection du nouveau Président de la République, l’Administration revient à plusieurs reprises sur le système des 2 nuits sur 4, au point d’afficher sur le tableau de service un nouveau système dit de 2 nuits sur 3.
Celle-ci sera de nouveau mis en échec grâce à la lutte des travailleurs avec la CGT.
1974 c’est la grande grève des PTT qui va durer un mois et demi en octobre novembre.
Pour nous ce sera la semaine de travail ramenée à 32H.
Mais dans le même temps, un nouveau grade est créé, ce sera mes AAP
La Direction va remplacer la quasi-totalité des deux brigades ; étant pratiquement tous auxiliaires.

Georges Crescente en manteau noir au centre de la banderole
Il va falloir beaucoup d’explications et de débats pour ramener après plusieurs mois un peu de sérénité.
Les années 80 vont amorcer la lente érosion de l’utilité du tri de nuit. La mécanisation a fait des pas de géants, une machine peu trier en 1H le même volume qu’une vacation de 30 agents.
En 1990, épuisé par près de 30 ans de travail de nuit, je dors plus guère, ni de nuit, ni de jour, je me suis contraint d’abandonner mes camarades en demandant un poste de jour.
En 1993, le 2eme arrondissement rejoindra son bureau.
En 1994, le tri de nuit cessera définitivement son activité. Le courrier n’étant plus la priorité de la Poste avec l’émergence d’internet.
Ces trente années ont été très pénibles, mais très utiles au développement de la France d’après guerre.
Il reste la fierté d’avoir participé modestement à la lutte des travailleurs avec la CGT à l’amélioration des conditions de vie et de travail, des salaires et de la dignité, contre l’arrogance et l’arbitraire.